À l’âge de 83 ans, ma mère passe un test d’évaluation des troubles cognitifs. Le résultat tombe comme un couperet et confirme les premiers signes détectés : la démence est là et Alzheimer guette. Un nom propre devenu commun.
Une perte de mémoire redoutée, redoutable.
Moi qui ne l’avais que très peu photographiée jusqu’à présent, je veux prendre le temps de l’observer et continuer de vivre des moments avec elle. L’emmener sous la pluie, souffler dans un brin d’herbe entre ses doigts tordus pour le faire siffler, mettre trop de beurre dans le gâteau au chocolat familial puis en rire, l’accompagner chercher les œufs des poules qu’elle peut oublier dans ses poches au retour, lui rappeler de mettre son appareil auditif…
Une nouvelle relation semble s’installer avec ma mère. Les émotions muettes qui venaient souvent nous traverser vont peut-être pouvoir éclore. Les barrières cèdent. Désormais, elle autorise plus naturellement son sourire à gagner le reste de son visage. Elle relègue dans les tréfonds de sa mémoire sa posture sociale et sa rigidité. Organisation perdue, réalité altérée, un peu d’insouciance retrouvée.
Je suis parti à la recherche de ces petites traces symboliques de la perte d’autonomie, au jardin, face à ses mots fléchés, dans la cuisine, la salle de bain ou lors des marches quotidiennes avec mon père. Guetter ces instants éphémères de lucidité et de présence au monde qui l’entoure. Rester à l’écoute. Créer de nouveaux liens. Ne pas l’enfermer dans les frontières de son passé chaque jour plus flou, ni dans ce présent aspirant peu à peu son identité.